lunes, 27 de noviembre de 2017

Charles Baudelaire: Carta a Alphonse Toussenel

2017 marca los 150 años de la muerte de Charles Baudelaire. Para conmemorar este aniversario, mientras nos preparamos para publicar en diciembre de este año el segundo y último volumen de las fundamentales CARTAS A LA MADRE, seguimos ofreciendo a nuestros lectores una colección de páginas en honor del grand Charles.

CARTA DE BAUDELAIRE A ALPHONSE TOUSSENEL

Lunes 21 de enero de 1856.

Mi querido Toussenel[1], quiero absolutamente darle las gracias por el regalo que me ha hecho. Yo no conocía el valor de su libro[2], se lo confieso ingenua y groseramente.

Anteayer me ocurrió una desgracia, una conmoción bastante grave —lo bastante grave como para impedirme pensar—, a tal punto que interrumpí un trabajo importante. —No sabiendo cómo distraerme, esta mañana agarré su libro —a la mañana muy temprano. Acaparó mi atención, me devolvió mi estabilidad y mi tranquilidad  —como siempre lo hará toda buena lectura.

Hace muchísimo tiempo que rechazo con hastío casi todos los libros. —Hace también muchísimo tiempo que no había leído algo tan absolutamente instructivo y entretenido. —El capítulo del halcón y de los pájaros que cazan para el hombre es —por sí mismo— una obra. —Hay frases que se les parecen a las frases de los grandes maestros, gritos de verdad —acentos filosóficos irresistibles tales como: Cada animal es una esfinge, y a propósito de la analogía: ¡cómo el espíritu descansa en una dulce quietud al abrigo de una doctrina tan fecunda y tan simple, para la que nada es un misterio en las obras de Dios!

Hay también otras cosas filosóficamente conmovedoras, y el amor de la vida al aire libre, y el honor que se le rinde a la caballería y a las damas, etc.

Lo que es seguro es que usted es poeta. Hace muchísimo tiempo que digo que el poeta es soberanamente inteligente, que es la inteligencia por excelencia —y que la imaginación es la más científica de las facultades, porque es la única que comprende la analogía universal, o lo que una religión mística llama la correspondencia. Pero cuando quiero hacer imprimir este tipo de cosas, me dicen que estoy loco —y, sobre todo, loco conmigo mismo— y que sólo detesto a los pedantes porque mi educación ha quedado incompleta. —Lo que es, sin embargo, totalmente seguro es que poseo un espíritu filosófico que me hace ver claramente lo que es verdadero, incluso en zoología, por más que no sea ni cazador ni naturalista. —Tal es al menos mi pretensión; —no haga como los malos amigos, y no se ría de todo esto.

Ahora, ya que me dejado llevar a tener con usted discursos más altos y a una familiaridad más grande que lo que me hubiera permitido si su libro no me hubiera inspirado tanta simpatía —déjeme que le diga todo.

¿Qué es eso del Progreso Continuo? ¿Qué eso de una sociedad que no es aristocrática? Me parece que no es para nada una sociedad. ¿Qué es eso  del hombre naturalmente bueno? ¿Dónde se lo ha visto? El hombre naturalmente bueno sería un monstruo, quiero decir un Dios. —En fin, usted adivina cual es ese orden de ideas que me escandaliza, quiero decir que escandaliza a la razón escrita desde sus mismos comienzos sobre la superficie de la tierra. —Puro quijotismo de una hermosa alma. —

¡Y un hombre como usted soltar, de paso, como un simple redactor del Siècle, injurias a De Maistre, el gran genio de nuestro tiempo —un vidente! —Y, además, esos modismos de conversación y esas palabras de argot que arruinan siempre un hermoso libro.

Una idea me obsesiona desde el comienzo de este libro —que usted es un espíritu auténtico extraviado en una secta. En suma —¿qué le debe usted a Fourier? Nada, o muy poca cosa. —Sin Fourier, usted habría sido lo que es. El hombre razonable no esperó a que Fourier llegase al mundo para comprender que la Naturaleza es un verbo, una alegoría, un molde, un repujado, si usted prefiere. Sabemos eso, y no es gracias a Fourier que lo sabemos; —lo sabemos por nosotros mismos, y por los poetas.

Todas las herejías a las que yo hacía alusión más arriba no son, después de todo, sino la consecuencia de la gran herejía moderna, de la doctrina artificial, sustituida a la doctrina natural —quiero decir, la supresión de la idea del pecado original.

Su libro despierta en mí muchas ideas que estaban adormecidas —y a propósito de pecado original, y de forma moldeada sobre la idea, muy a menudo he pensado que los animales dañinos y asquerosos quizás no son más que la vivificación, corporificación, eclosión en la vida material, de los malos pensamientos del hombre. —De modo tal que la naturaleza por entero participa del pecado original.

No me guarde rencor por mi audacia y mi falta de miramientos, y crea que soy su muy afecto,

Traducción para Literatura & Traducciones, de  Miguel Ángel Frontán.

NOTAS:
[1] Alphonse Toussenel (1803-1885), escritor, periodista y naturalista, adepto del socialismo utópico de Charles Fourier.
[2] El ingenio de los animales, El mundo de los pájaros, ornitología pasional. III Parte. París, Librairie phalanstérienne, 1855.

LETTRE DE BAUDELAIRE À ALPHONSE TOUSSENEL

Lundi 21 janvier 1856.

Mon cher Toussenel, je veux absolument vous remercier du cadeau que vous m'avez fait. Je ne connaissais pas le prix de votre livre[1], je vous l'avoue ingénument et grossièrement.

Il m'est arrivé avant-hier un chagrin, une secousse assez grave, — assez grave pour m'empêcher de penser, — au point que j'ai interrompu un travail important. — Ne sachant comment me distraire, j'ai pris ce matin votre livre, — de fort grand matin. Il a rivé mon attention, il m'a rendu mon assiette et ma tranquillité, — comme fera toujours toute bonne lecture.

Il y a bien longtemps que je rejette presque tous les livres avec dégoût. — Il y a bien longtemps aussi que je n'ai lu quelque chose d'aussi absolument instructif et amusant. — Le chapitre du faucon et des oiseaux qui chassent pour l'homme est une œuvre, — à lui tout seul. — Il y a des mots qui ressemblent aux mots des grands maîtres, des cris de vérité, — des accents philosophiques irrésistibles, tels que : Chaque animal est un sphinx, et à propos de l'analogie : comme l'esprit se repose dans une douce quiétude à l'abri d'une doctrine si féconde et si simple, pour qui rien n'est mystère dans les œuvres de Dieu !

Il y a encore bien d'autres choses philosophiquement émouvantes, et l'amour de la vie en plein air, et l'honneur rendu à la chevalerie et aux dames, etc.

Ce qui est positif, c'est que vous êtes poëte. Il y a bien longtemps que je dis que le poëte est souverainement intelligent, qu'il est l'intelligence par excellence, — et que l'imagination est la plus scientifique des facultés, parce que seule elle comprend l'analogie universelle, ou ce qu'une religion mystique appelle la correspondance. Mais quand je veux faire imprimer ces choses-là, on me dit que je suis fou, — et surtout fou de moi-même, — et que je ne hais les pédants que parce que mon éducation est manquée. —Ce qu'il y a de bien certain cependant, c'est que j'ai un esprit philosophique qui me fait voir clairement ce qui est vrai, même en zoologie, bien que je ne sois ni chasseur, ni naturaliste. — Telle est du moins ma prétention; — ne faites pas comme mes mauvais amis, et n'en riez pas.

Maintenant, puisque je me suis avancé avec vous dans des discours plus grands et une familiarité plus grande que je me le serais permis, si votre livre ne m'inspirait d'ailleurs tant de sympathie, — laissez-moi tout dire.

Qu'est-ce que le Progrès indéfini ? qu'est-ce qu'une société qui n'est pas aristocratique ! ce n'est pas une société, ce me semble. Qu'est-ce que c'est que l'homme naturellement bon ? où l'a-t-on connu ? L'homme naturellement bon serait un monstre, je veux dire un Dieu. — Enfin, vous devinez quel est l'ordre d'idées qui me scandalise, je veux dire qui scandalise la raison écrite depuis le commencement sur la surface même de la terre. — Pur quichottisme d'une belle âme. —

Et un homme comme vous! lâcher en passant, comme un simple rédacteur du Siècle, des injures à de Maistre, le grand génie de notre temps, — un voyant ! — Et enfin des allures de conversation et des mots d'argot qui abîment toujours un beau livre.

Une idée me préoccupe depuis le commencement de ce livre, — c'est que vous êtes un vrai esprit égaré dans une secte. En somme, — qu'est-ce que vous devez à Fourier ? Rien, ou bien peu de chose. — Sans Fourier, vous eussiez été ce que vous êtes. L'homme raisonnable n'a pas attendu que Fourier vînt sur la terre pour comprendre que la Nature est un verbe, une allégorie, un moule, un repoussé, si vous voulez. Nous savons cela, et ce n'est pas par Fourier que nous le savons ; — nous le savons par nous-mêmes, et par les poètes.

Toutes les hérésies auxquelles je faisais allusion tout à l'heure ne sont, après tout, que la conséquence de la grande hérésie moderne, de la doctrine artificielle, substituée à la doctrine naturelle, — je veux dire la suppression de l'idée du péché originel.

Votre livre réveille en moi bien des idées dormantes, — et à propos de péché originel, et de forme moulée sur l'idée, j'ai pensé bien souvent que les bêtes malfaisantes et dégoûtantes n'étaient peut-être que la vivification, corporification, éclosion à la vie matérielle, des mauvaises pensées de l'homme. — Aussi la nature entière participe du péché originel.

Ne m'en veuillez pas de mon audace et de mon sans-façon, et croyez-moi votre bien dévoué.


[1] L'Esprit des bêtes, Le Monde des Oiseaux, ornithologie passionnelle, par A. Toussenel, auteur des Juifs, rois de l'époque. Troisième partie. Paris. Librairie phalanstérienne, 1855, in-8°.